Je suis interpellée ces dernières semaines à propos de la situation géopolitique. L’évolution de la situation en Ukraine, les attitudes des présidents américain et russe génèrent des interrogations et même des peurs. L’environnement médiatique dans lequel nous agissons ne permet pas forcément de rendre audible les positions et arguments de chacun. Souvent même il les déforme. Je souhaite par ce billet revenir sur la position défendue par mon groupe parlementaire La France Insoumise. Cette position est dans la continuité des positions défendues historiquement par une partie de la gauche française et par la France Insoumise depuis sa création. Cette position peut être discutée, débattue de manière contradictoire. J’estime de mon devoir de députée de faire connaitre et expliquer à mes concitoyens ce que je défends à l’Assemblée Nationale.
Je condamne avec la plus grande fermeté l’invasion russe de l’Ukraine. La France doit apporter un soutien plein et entier à l’Ukraine. Le peuple ukrainien est souverain et l’intégrité territoriale de l’Ukraine est menacée par l’invasion russe. C’est notre position depuis les premières heures de la guerre.
Début mars, une proposition de résolution européenne appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine a été débattue à l’Assemblée Nationale et soumise au vote. A l’issue des débats le groupe parlementaire LFI-NFP a choisi de voter contre. Ce vote ne remet absolument pas en cause notre soutien à l’Ukraine mais manifeste un désaccord sur le contenu du texte. Afin de faire évoluer le contenu de la résolution, nous avons proposé un amendement de réécriture de la résolution. Cet amendement ayant été rejeté, nous avons voté contre la résolution.
Qu’est ce qui est problématique dans le contenu de la résolution soumise au vote ?
Si le texte réaffirme le soutien de la France à l’Ukraine, il s’inscrit dans une vision totalement dépassée de la situation internationale. Cette résolution ne remet pas véritablement en cause l’alignement de la France avec les Etats-Unis. Elle promeut une Europe de la défense dont les commandes enrichiront d’abord l’industrie étatsunienne de l’armement, au détriment de notre indépendance. Elle offre comme seule perspective politique le renforcement de l’action militaire, au lieu d’une nécessaire négociation. Enfin, ce texte propose l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et ne s’émancipe pas d’un cadre de sécurité du continent européen sous l’égide de l’OTAN.
Que proposait notre amendement de réécriture de la résolution ?
Voici quelques extraits de cet amendement :
« L’assemblée nationale apporte tout son soutien à l’Ukraine ; condamne avec fermeté l’invasion russe de l’Ukraine. »
« L’assemblée Nationale rappelle qu’il ne peut y avoir de paix sans une association pleine et entière de l’Ukraine ; que l’Ukraine est légitime à réclamer des armes compte tenu de son agression et qu’il est de la responsabilité des pays membres de répondre à cette demande tout en la pondérant au regard de la situation opérationnelle de l’armée ukrainienne et du risque d’escalade »
« L’Assemblée Nationale exprime son opposition à la mise en place d’une « économie de guerre » au sein des États membres, qui serait le prétexte à une remise en cause des droits sociaux des populations concernées. L’Assemblée Nationale invite le Gouvernement français et ses partenaires européens à prendre l’initiative de l’organisation, sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et de l’Organisation des Nations unies, d’une conférence internationale pour la paix, afin d’explorer les conditions du règlement du conflit, en associant impérativement l’Ukraine ».
Il est important que l’Assemblée Nationale exprime son soutien à l’Ukraine. Cette voix doit s’accompagner d’une analyse de la situation et de propositions permettant d’envisager une sortie du conflit vers une paix juste et durable. Or l’analyse et les propositions défendues dans la résolution ne répondent pas aux enjeux actuels.
Il y a selon moi deux raisons à la situation que nous vivons.
La première c’est l’enfermement depuis plus de 3 ans dans la seule perspective militaire. Cette perspective militaire est une impasse qui ne permet pas de sortir du conflit et construire les conditions de la paix. La voie diplomatique a été délaissée et on paie aujourd’hui les conséquences. Ce n’est hélas pas une surprise. Les diplomates le disent depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, ils sont déconsidérés. En 2022, chose rare, ils ont même fait grève pour dénoncer le manque de moyens. La diplomatie a été délaissée car les gouvernements européens ne parlaient que de solutions militaires au conflit. Résultat : les négociations se font aujourd’hui dans le dos des européens.
La deuxième raison à la situation actuelle, c’est l’enfermement français et européen dans la dépendance aux Etats Unis. Il n’en a pas toujours été ainsi. C’est pour ne pas dépendre des USA que le Général de Gaulle a fait le choix en 1966 de sortir la France du commandement de l’OTAN. En 2003 la France et plusieurs pays européens se sont opposés aux interventions militaires américaines en Irak. Mais en 2007 la décision de Nicolas Sarkozy de réintégrer la France dans le commandement de l’OTAN a balayé ce positionnement non-aligné.
Nous sommes dépendants des Etats Unis et en prenons brutalement conscience depuis le retour au pouvoir de Trump. Les ukrainiens le constatèrent aussi lorsque les Etats Unis ont stoppé temporairement le renseignement à l’armée ukrainienne. La dépendance aux Etats Unis est militaire mais aussi industrielle et stratégique. Sur 3 euros que dépense l’Europe pour s’équiper en armement, 2 euros vont à l’industrie américaine de l’armement. Le plan « Rearm Europe » proposé par la Commission Européenne aura une conséquence : enrichir l’industrie américaine.
Dans ces conditions, comment envisager une paix juste et durable pour l’Ukraine et pour l’Europe ?
La recherche d’un cessez le feu doit être une priorité. Les armes doivent se taire pour laisser la place aux négociations diplomatiques. C’est une nécessité renforcée par le risque d’une escalade guerrière. Mais le cessez le feu ne peut pas se faire à n’importe quelle condition et surtout pas sans l’Ukraine. Nous devons construire les conditions permettant de garantir une paix durable sur le continent européen. Cela passera forcément par des garanties de sécurité mutuelles entre la Russie et l’Ukraine. Sinon la guerre reprendra pour un autre prétexte. La France Insoumise propose l’organisation sous l’égide de l’ONU et de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) d’une conférence internationale pour la paix. Si un accord de paix est conclu et qu’il est nécessaire d’envoyer des militaires sur le terrain pour le faire respecter, nous pouvons le faire dans le cadre du droit international en envoyant des casques bleus. Préparer la paix, c’est anticiper l’après-guerre. Il faut donc prévoir le déminage du territoire ukrainien. Il faut prévoir l’avenir des territoires qui ont été occupés depuis plus de 10 ans.
Faire entendre une voie alternative vers la paix européenne et mondiale
Ni Trump, ni Poutine. Pour sortir de l’impasse, la France doit faire entendre une voie alternative à l’engrenage guerrier. Il faut pacifier le continent européen en profondeur car les points chauds subsistent. Là où des frontières sont contestées, il y a le germe d’une guerre future. Nous proposons l’organisation d’une conférence des frontières avec l’OSCE pour trouver des solutions pérennes. Enfin comme cela s’est déjà fait, encadrons l’usage des armes notamment les plus dangereuses (missiles nucléaires de portée intermédiaire, armes chimiques, biologiques…).
La diplomatie ne doit pas se contenter de gérer les conflits. La France doit avoir une stratégie non alignée. Cela nous permettra de parler au monde afin de rassembler largement tous les pays volontaires pour construire des projets au service de l’intérêt général humain. Nous proposons donc d’orienter nos efforts diplomatiques autour d’enjeux vitaux pour notre humanité et la gestion de biens communs à l’échelle de la planète (eau, environnement, espace, sous-sol.)
Une économie de paix plutôt qu’une économie de guerre
La guerre devient un prétexte pour diminuer les droits sociaux dans les pays. On entend ces dernières semaines que c’est irresponsable de discuter de l’abrogation de la réforme des retraites car il faut passer à une économie de guerre. Au contraire nous devons défendre une économie de paix. Dépenser des centaines de milliards d’euros n’a aucun sens puisque 2 euros sur 3 iront à l’industrie américaine. L’économie doit répondre aux besoins de la société. La défense en fait partie, nous devons garantir la sécurité de notre territoire, y compris les Outre-Mer. Mais il est tout aussi urgent de financer la transition écologique, la refondation de l’hôpital et de l’école publique. D’ailleurs c’est aussi en période de guerre que la France a connu certaines avancées sociales : en 1914 création de l’impôt sur le revenu, en 1916 création d’une taxe sur les super profits, en 1944 signature du programme du Conseil National de la Résistance qui permet la création de la Sécurité Sociale.